Le 15 décembre 2023, plus de 170 acteur.ice.s engagé.e.s pour la promotion de la langue française se sont réuni.e.s à Saint-Ouen pour une journée d’échanges et de débats autour de la langue française comme horizon interculturel.
Acteur·rice·s associatif·ve·s, artistes, institutions, expert·e·s linguistes ou encore habitant·e·s se sont réuni pour le lancement du Campus francophone de Seine-Saint-Denis, autour de Barbara Cassin marraine de l’évènement et membre de l’Académie française.
Cette journée a prouvé la vitalité des enjeux autour de la langue et a créé un espace de rencontres, que le Campus souhaite continuer à incarner. « L’objectif de ce campus est triple : valoriser toutes les langues parlées en Seine-Saint-Denis – et elles sont nombreuses – montrer à quel point toutes ces langues viennent enrichir le français par des expressions et des musicalités nouvelles et enfin défendre un accès au français pour tous si on veut être un territoire d’accueil », expliquaient conjointement Pouria Amirshahi, directeur de ce nouveau Campus, et Stéphane Troussel, président de la Seine-Saint-Denis.
La première table ronde, de cette journée a réuni autour de l’extraordinaire richesse linguistique du département : Kohndo, Anna Stevanato, Danièle Wozny – co-fondatrice des Maisons sagesse traduire et Mounira Chatti, Professeure de la Chaire littérature francophone à l’Université Paris 8.
Kohndo, rappeur d’origine béninoise, a fait part de son expérience personnelle : « J’ai grandi avec deux langues à la maison : le français et le fon, une langue tonale parlée au Bénin. Mais, alors que je comprenais parfaitement quand ma mère me parlait fon, petit garçon, je refusais de le parler parce que je considérais qu’on était en France. Aujourd’hui, j’aimerais bien refaire ce retard. Je pense que si j’avais honte de le parler, c’est parce qu’on m’a un peu transmis de cette honte. », témoignait cet enfant de Bobigny, auteur de son premier roman en vers : « Plus haut que la Tour Eiffel ».
La Seine-Saint-Denis, avec ses quelque 160 langues parlées sur son territoire, aurait ainsi intérêt à faire fructifier cet acquis. Ce qui serait bénéfique non seulement à son économie, mais aussi à l’apprentissage du français par des locuteurs non natifs, comme le rappelait Anna Stevanato fondatrice de l’association Dulala : « Toutes les études en sciences cognitives ont prouvé que le plurilinguisme est une chance, qu’il rend le cerveau plus plastique pour apprendre encore d’autres langues. Il faut donc encourager ce multilinguisme propre à la Seine-Saint-Denis, pas le réfréner ».
La seconde table ronde réunissait : l’humoriste Samia Orosemane, suite à un seule en scène proposé à la salle sur le thème des accents en pays francophones; l’écrivain diplômé de Paris 8 Diadié Dembélé ; Aminata Konaté, conseillère principale d’éducation, à l’origine de l’atelier d’art oratoire « Objection »; Julien Barret linguiste spécialisé en rhétorique qui s’intéresse aux mots de l’argot des banlieues et du rap français.
« Pendant longtemps, l’apport des personnes étrangères à la société française a été complètement nié. On leur demandait de se fondre dans le moule et c’était pareil pour le français. On leur demandait de parler un français « pur », sans accent, alors que ce français pur à mes yeux est un mythe, il n’existe pas. Ce qui n’empêche pas de s’exprimer correctement. », remarquait ainsi Aminata Konaté.
Auteur de “Apprends les bails” Julien Barret a expliqué que ce livre résultait d’un travail collectif mené entre septembre 2020 et juin 2022 avec une classe de première, puis de terminale professionnelle au lycée Pierre-Mendès-France de Ris-Orangis. “Ces élèves m’ont aidé à recenser plus d’une soixantaine de nouveaux termes usités dans le nord de l’Essonne et en Île-de-France, des vocables peu connus du grand public mais qu’ils utilisent au quotidien. C’est donc le produit d’un travail rigoureux proposé aux élèves, amenés à réfléchir au fonctionnement du langage et aux différents registres de la langue française.”
Contrairement à ce que l’on pourrait penser à Paris, le français “traditionnel” est mieux parlé dans certains pays francophones que dans la capitale. C’est ce qu’explique Diadié Dembélé, qui a grandi au Mali avec un usage très soutenu du français. Il se rappelle qu’à son arrivée à Paris 8, cette langue soutenue lui valait le surnom de “fils de l’ambassadeur” par ses camarades de classe.
Une table ronde sur l’accès au français a réuni la chercheuse Anna Cattan, le directeur de l’OFII – Didier Leschi, l’enseignante en UPE2A (Unité pédagogique pour Elèves Allophones Arrivants) au collège Evariste-Galois à Sevran – Béatrice Marriette et la directrice de l’Institut Convergences Migrations – Marie-Caroline Saglio.
Ils ont pu faire le constat que l’accès à l’enseignement du français pour les adultes est difficile, voire inexistants dans certains territoires français. « Il manque des lieux d’apprentissage inconditionnels », soulignait ainsi Marie-Caroline Saglio. « Nous avons à la fois des difficultés de moyens et de méthode », remarquait Béatrice Marriette. Les 1140 OEPRE (des classes d’apprentissage du français à des parents non francophones) qui existent dans toute la France – à raison de 4 h de cours par semaine – sont donc encore insuffisants.
Le pacte linguistique signé ce vendredi 15 décembre l’État et le Département prévoit la valorisation des langues parlées sur le territoire par la mise en place d’une cartographie des langues, ainsi que le développement de l’accès au français pour celles et ceux qui en sont éloigné.es. Certaines actions déjà entamées seront ainsi renforcées : les résidences Babel – résidences d’artistes francophones de Seine-Saint-Denis et d’ailleurs ; le programme « 130 collèges » – invités à engager des correspondances avec d’autres pays francophones (comme celles que le collège Nelson-Mandela au Blanc-Mesnil a déjà entamées avec son équivalent Hann Bel-Air de Dakar); « Ici on parle français et … » – à l’approche des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, dont une bonne partie se déroulera en Seine-Saint-Denis, les commerces et lieux accueillant du public seront invités à apposer des pancartes « Ici on parle français et… » sur leur devanture.
Téléchargez le pacte linguistique signé par l’Etat et le Département en cliquant ici.
Le programme de la journée
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